Écrire au temps de l'IA, un acte de foi.
Bonjour à tous, c'est Numa.
Comme prévu, ma fréquence d'écriture est aléatoire, mais c'est pour le bien commun :) Et l'écriture (au temps de l'IA) est justement le sujet central de cet article.
Mes articles sont désormais structurés comme suit :
- Un article de fond
- Un des principes que j'ai acquis en 13 ans d'entrepreneuriat
- Un modèle mental que j'utilise
- Un tips de productivité
Pourquoi écrire par soi-même et se forcer à se passer de l'IA ?
Alors oui pour ne pas devenir dyslexique...
Encore que, de plus en plus d'études scientifiques à comité de lecture, comme celle publiée dans la revue Frontiers in Psychology en 2022, concluent que la dyslexie est associée à des capacités accrues dans l’exploration cognitive, la créativité, la découverte et l’invention. Les auteurs suggèrent que la dyslexie doit être vue comme une spécialisation cognitive évolutive, et non uniquement comme un trouble.
Mais au-delà de ce meme que je voulais absolument placer, pourquoi écrire par soi-même et se forcer à se passer de l'IA ?
Je m'appuie ici sur la pensée du philosophe Éric Sadin qui incarne une voix essentielle dans le paysage intellectuel contemporain sur les sujets d'intelligence artificielle.
Pourquoi je le lis ? Car ses analyses transcendent les frontières disciplinaires pour révéler les logiques de pouvoir et d'accaparement à l'œuvre dans le monde algorithmique. En tant que philosophe, il va au-delà de l'analyse en silo et fait un pas de côté pour comprendre ce qui se joue dans cette grande accélération numérique, tant dans la collecte de données que dans la propension de l'IA à nous déposséder de notre libre arbitre.
Alors qu’est-ce qui se joue justement ?
En langage Eric Sadin : le probabilisme langagier des LLMs (grands modèles de langage) est un appauvrissement ontologique.
En langage simple : les LLMs détruisent à petit feu notre capacité à déterminer ce que nous voulons vraiment dire.
Voilà tout. Un LLM suit un processus probabiliste à conséquences déterministes.
Sadin souligne en effet un paradoxe :
- Probabilisme technique : Les modèles exploitent l'aléatoire pour diversifier leurs productions.
- Déterminisme culturel : Leurs données de sortie reflètent et renforcent les normes dominantes du corpus d'entraînement, verrouillant la pensée dans des schémas préétablis.
Les LLMs cristallisent une menace silencieuse : la colonisation de notre capacité à penser par des architectures computationnelles. Éric Sadin y voit l'aboutissement d'une logique de « prédiction généralisée » où le langage, réduit à des probabilités statistiques, devient un territoire soumis aux lois de l'optimisation.
A court terme et à courte vue, on se dit, en utilisant les LLMs, que ça nous fait vachement gagner de temps et que le résultat est impressionnant. J'utilise moi-même Claude et Perplexity pour quantité de processus que j'automatise.
Mais ces systèmes s'alimentent de corpus textuels reflétant les biais, les normes et les rapports de force historiques. Leur « intelligence » réside dans la reproduction de schémas déjà existants, jamais dans l'énonciation de l'inédit. Sadin parle d'une « pensée digitale » qui, en mimant nos productions linguistiques, installe une circularité mortifère : les LLMs génèrent des énoncés conformes aux données qu'ils ont ingurgitées, renforçant ainsi les structures dominantes du discours.
Avec un LLM au contraire de l'humain, il n'y a pas d'inattendu. Dit autrement, quand j'écris cette phrase, s’offrent à moi une infinité de chemins pour la continuer. Je ne sais pas quel mot je vais choisir avant de l'avoir écrit. Le LLM, lui, suit une autoroute algorithmique balisée par des traces passées.
Et cette logique convient très bien pour des processus que nous voulons algorithmiques, comme l'automatisation de l'écriture de documents réglementaires utilisés par les conseillers financiers. C'est ce que je fais avec mes associés dans le cadre de Wealth Advisor OS. Le cadre est borné par la réglementation, pas de place pour la prose, pas de place pour l'élan vers l'inconnu.
Mais pour le reste... De nos conversations quotidiennes à l'expression par l'art en passant par notre journal intime...
La phrase humaine est un saut dans l’inconnu
Quand votre stylo plane au-dessus de la page, ou vos doigts au-dessus du clavier, se déploie un espace métaphysique. Chaque mot est un acte de foi, vous ignorez quelle idée émergera du geste d’écrire. Cette incertitude active convoque une alchimie complexe — mémoire, désir, résonances culturelles, intuition — qui défie toute modélisation. Sadin parle d’un « geste ontologique » : la pensée se fait en se formulant, dans un mouvement qui transforme à la fois le monde et celui qui l’énonce.
Et ce n'est pas rien. C'est ce qui définit notre humanité.
Le LLM : un labyrinthe sans issue
Le modèle de langage, lui, déclenche une cascade de calculs visant à minimiser la surprise. Son objectif ? Coller au plus près des séquences déjà observées dans son entraînement. Le « choix » du mot suivant n’est pas une exploration, mais un triage statistique. Même les données de sortie apparemment créatives ne sont que des recombinaisons sophistiquées de motifs préexistants.
Pour E. Sadin, les LLMs sont des « machines à ressasser », capables de générer des variations infinies sur des thèmes connus, mais radicalement incapables de commencer quelque chose. Leur prétendue « imagination » reste un leurre : elle simule la nouveauté en optimisant des paramètres, sans jamais risquer la rupture qui caractérise la pensée authentique.
Ce mécanisme crée un langage « neutre ».
Et les risques sont nombreux. De même qu'on ne souhaite pas goûter la même soupe à tous les repas, on ne souhaite pas rester enfermé dans la production d'un langage sans aspérité, sans anicroche, sans saveur. Alors que c'est dans les accidents féconds de langage que naissent les idées révolutionnaires.
Un tel langage charrie une vision du monde implicitement normative. Puisqu'il est affaire de statistique, le LLM puise dans des millions de documents empreints d'une idéologie plus que d'une autre. Toute pensée critique se trouve asphyxiée par ce déterminisme sémantique.
Comment conserver une pensée enrichie ?
En écrivant, avec vos doigts et votre jus de cerveau.
Écrire vous permet trois choses au moins :
- muscler vos fonctions cognitives
- mieux comprendre un sujet
- faire acte d'authenticité
L'écriture vous oblige à ralentir, à concentrer votre attention et à réfléchir en profondeur. Dans un monde où l'attention est fragmentée en quelques secondes, la pensée devient plus réactive que raisonnée.
Ce n'est qu'en prenant le temps de jouer avec un problème et avec les mots que nous pouvons espérer y réfléchir de manière approfondie. Pour écrire, il faut s'accrocher à quelque chose un peu plus longtemps et développer une compréhension plus profonde.
C'est ainsi que vous maîtriserez le savoir et produirez du nouveau, pour votre développement personnel et votre activité professionnelle. Que ce soit pour apprendre sur une science ou vendre vos services.
Écrire c'est comprimer le savoir. C'est seulement en écrivant que vous comprenez ce que vous n'avez pas compris sur un sujet. Cet effort de compression vous met en face de vos défauts de compréhension. Comme pour un enfant qui demande "et pourquoi ?...et pourquoi ?...et pourquoi ?", écrire vous fait revenir aux éléments de base, aux fondations d'un sujet. Et si vous êtes honnête avec vous-même, vous ne pouvez pas y échapper.
C'est en vous mettant dans le pétrin de l'écriture que vous vous rendez compte de ce qui vous manque pour expliquer quelque chose. Grand ou petit d'apparence, un sujet devient toujours plus profond au travail de la plume ou du clavier. Buter sur une idée, y revenir, faire demi-tour après une impasse, ce n'est que par l'écriture qu'on passe d'un savoir de surface à un savoir maîtrisé.
En termes plus modernes, Einstein nous dit que « les choses devraient être rendues aussi simples que possible, mais pas simplistes ».
Si la compression d'Einstein est difficile à voir parce qu'elle se produit dans l'abstrait, Pablo Picasso a montré le même processus de compression sous une forme concrète.
Comprimer un savoir pour ne garder que l'essentiel. Avec vos mots.
Alors ne déléguez pas toutes vos facultés linguistiques aux LLMs, car externaliser tout votre rapport au langage, c'est faire acte de sécession par rapport à votre caractère. Et le monde a besoin de votre caractère.
Ce sur quoi je travaille en ce moment.
Dans le cadre du product studio And You Create que j'ai co-créé avec trois autres associés et amis, notre premier projet a été d'automatiser les processus des CGP, conseillers financiers, courtiers et autre family offices.
Nous avons créé le système d'exploitation le plus minimaliste mais puissant via Notion et notre code propriétaire.
CRM + création de tous les documents réglementaires, au même endroit et en quelques clics.
Dans le cadre de la tourmente touchant Harvest, nous avons eu des centaines de sollicitations et de soutien de tout bord pour ce projet. Nous avons passé plus de 100 heures à faire des démo en visio. Nous avons pris le temps pour rendre notre onboarding très simple, tourner près de trente vidéos tuto, et ne plus dépendre du logiciel de no-code n8n (que nous affectionnons tant). Nous avons recodé tous les workflows n8n que nous avions mis trois mois à créer. Pour le meilleur. Une infrastructure solide, une cyber-sécurité reposant sur Notion et Google, les meilleurs en la matière.
Ça s'appelle Wealth Advisor OS, et ça sort bientôt.
Un de mes principes
La qualité de notre vie dépend de la qualité des décisions que nous prenons.
Un modèle mental que j'utilise
La marge de sécurité. Pensez à la marge de sécurité comme à la marge de manœuvre que vous gardez entre vous et la voiture qui vous précède sur une autoroute très fréquentée, afin d'avoir le temps de réagir si quelque chose d'inattendu se produit.
C'est l'espace supplémentaire que vous n'utilisez pas à moins d'en avoir vraiment besoin, ce qui vous permet de rester en sécurité même lorsque les choses changent rapidement. La marge de sécurité est un tampon entre la sécurité et le danger, l'ordre et le chaos, le succès et l'échec. Elle garantit qu'un système ne bascule pas trop facilement de l'un à l'autre, ce qui causerait des dommages.
Dans les finances personnelles, ce sont les six mois de dépenses courantes que vous devez toujours conserver sur un compte bancaire, afin de plus facilement rebondir en cas d'imprévu.
Un tips de productivité
Vous connaissez ma passion pour dénicher les musiques créant les bonnes oscillations électromagnétiques pour me concentrer. Chacun a une oscillation plus favorable ; moi, ce sont les ondes gamma. Eh bien, ça fait un mois que je réécoute en boucle #19 d'Aphex Twin, compositeur britannique de musique électronique, de génie.
Bonne écoute et à très vite !
Sources
- "Developmental Dyslexia: Disorder or Specialization in Exploration?" - dans Frontiers in Psychology, Volume 13, 2022.
- L'intelligence artificielle ou L'enjeu du siècle : anatomie d'un antihumanisme radical - Eric Sadin, 2021.
- The great mental models - Shane Parrish, 2019.